L’architecture de la passerelle résulte du croisement de deux réflexions. La première, à l’échelle du site, porte sur la capacité de la passerelle à transformer positivement son voisinage, à contribuer à la nouvelle identité du quartier et des berges du canal et à faire émerger de nouveaux usages, civiques, agréables, conviviaux et vertueux. La seconde, plus globale, propose une réponse au changement de paradigme architectural qu’exige la crise environnementale en cours.
Ouvrage utile aujourd’hui, anticipant les évolutions de demain. Alors qu’historiquement, le canal avait été envisagé comme une pure infrastructure tournant le dos à la ville, ce rapport s’inverse aujourd’hui, le canal étant vu comme un lieu d’urbanité. La passerelle non seulement bénéficie de cette inversion de perspective, mais participe également à la transformation du canal et des berges en un lieu d’agrément désirable et contribue à la faire advenir. La passer doit devenir une chance pour le site.
Faire de la passerelle une expérience désirable, une promenade agréable dans un environnement privilégié, en fait non seulement une infrastructure civique qui encourage son utilisation, favorise le basculement vers des mobilités décarbonées mais aussi un véritable atout pour tous les habitants et visiteurs de Bondy. Le tablier, élevé au-dessus du plan d’eau et dans l’axe de la longue perspective plantée du canal, joue le rôle d’une place publique, d’un balcon ou d’un belvédère sur l’Ourcq. Elargi entre les ascenseurs, il est accompagné de glycines à grande extension, poussant en pleine terre et s’accrochant aux supports mis en place sur deux des faces des pylônes et sur la face Est de la passerelle. Chacun, qu’il soit piéton pressé ou flâneur, peut s’interrompre un instant ou s’arrêter à loisir, capter fugacement ou contempler la ville et l’Ourcq, la végétation, l’eau –puissant moteur d’imaginaire- et la vie qui y niche, amorçant ainsi le cercle vertueux par lequel l’observation de la nature conduit à son appréciation puis à sa restauration.
La qualité, la commodité et la sécurité de l’expérience des utilisateurs sont déterminantes pour l’utilisation effective de la passerelle. Cette dernière doit jouer parfaitement son rôle de franchissement. Les piétons et cyclistes qui l’empruntent doivent y être traités comme des invités de marque. Il s’agit, en l’absence provisoires de rampes, de rendre ce passage aussi facile que possible, pour les personnes les plus fragiles et les moins mobiles.
Des escaliers peu pentus –hauteurs de 12 et girons de 40– dotés de paliers de repos fréquents, des goulottes à vélo droites et régulières, des ascenseurs embarquant une bicyclette sont indispensables pour assurer ce confort d’usage maximal que doit offrir la passerelle. Par ailleurs, la passerelle offre –par l’évidence de sa robustesse, par sa transparence et la visibilité –y compris depuis le sol- d’un — un confort psychologique équivalent au confort physique qu’elle apporte.
La taille et la position de la passerelle, dans la perspective ouverte du canal, en font un repère urbain, largement visible dans ce paysage en recomposition. Sa forte présence visuelle permet non seulement à chacun de s’orienter dans la ville mais participe aussi de l’identité du quartier transformé. La passerelle, galerie urbaine et végétale, propose une forme légère et simple. Elle se distancie de tout stylisme structurel et de l’autocélébration d’une performance technique inutile, en raison de la modestie de la portée, et illusoire, car l’apparence d’une structure élancée est généralement obtenue aux dépends de son authentique efficacité structurelle, économique ou écologique. La passerelle est remarquable parce qu’elle annonce la qualité de l’expérience qu’elle offre et fait la démonstration d’une possibilité de ré-union entre ville et nature.
Enfin du point de vue global, la réalisation de la passerelle intervient à un moment charnière dans la construction de nos villes et de nos infrastructures. Les manifestations des bouleversements environnementaux en cours s’accélèrent et s’aggravent. Ces crises remettent en question les pratiques habituelles de l’architecture et de l’urbanisme qui en sont souvent à l’origine mais aussi souvent les premières victimes. C’est pourquoi la conception de la passerelle vise à faire émerger un ouvrage résilient face aux extrêmes climatiques, aux émissions de gaz à effet de serre maîtrisées, parcimonieux dans son emploi des ressources matérielles, et support de biodiversité. Un ouvrage responsable qui, à son échelle, anticipe et participe à la transition vers une architecture postcarbone dont la nécessité ne fait désormais plus aucun doute.
D’un point de vue pratique, la construction de la passerelle fait appel en majeure partie au bois, efficace stock de carbone, et à la seule gamme de profilés laminés élaborée exclusivement à partir d’acier recyclé. Au-delà des choix de matériaux, la conception est placée sous le signe de l’économie de moyens, notamment grâce à la réduction et à la mutualisation des appuis de l’ouvrage et, surtout, au recours à un treillis dont l’élancement géométrique relativement modeste garantit une très bonne efficacité mécanique des matériaux. Cette composition constructive est également envisagée sous l’angle de la durée, le bois est notamment protégé des intempéries, renouant, sous une autre forme, avec la logique et la tradition des franchissements couverts en bois dont certains sont quadricentenaires.