Creil (60), France | 2015
Rôle | Maîtrise d’œuvre complète, architecture et structure
MOA | Communauté d'agglomération Creilloise
Structure | Passerelle suspendue asymétrique
Longueur | 300m
Travées | 8
Portée principale | 90m
Matériaux | Acier, câbles clos, béton armé préfabriqué
Budget | 3 M€ (2014)
Prix de l'ouvrage d'art de l'équerre d'argent 2017
Equipe MOE |
J.F. Blassel, R. Royer de Vericourt, D. Garcia, M. Nguyen, A. Quaglia.
Phase PRO : Antoine Dupont Guerra, Emilie Hergott.
Visa Calcul : C. Rieser.
Entreprises |
Groupement : Bouygues TP Régions France, GAGNE
Garde-corps : METALSET
Pièces usinées COMBES
Contrôle |
IOA, Julien BORIC GINGER CEBTP, Stéphane DEVANNE
Photos |
R. Royer de Vericourt, A. Sassa, A Quaglia
La passerelle Nelson Mandela résulte d’un équilibre entre un site naturel précieux, nouveaux usages et économie structurelle. Le projet est un exemple de fusion réussie entre conception architecturale, réflexion structurelle et stratégie constructive afin de réaliser un projet d’une extrême efficacité. Les piétons empruntent maintenant un balcon léger au-dessus de la rivière, entre ville et parc, nouveau lien entre des quartiers jadis séparés. Sa conception confère à l’architecture de la passerelle le rôle d’un signal, emblème du renouveau urbain de Creil, sa structure légère formant un point de repère aérien dans le paysage de la ville et de la rivière.
Ville
La passerelle Nelson Mandela, dédiée aux circulations piétonnes, cyclables et aux personnes à mobilité réduite, facilite les déplacements entre les deux rives de l’Oise. Partie intégrante du programme de renouvellement urbain intercommunal, elle contribue à la liaison entre les quartiers de Gournay, de la gare et de Rouher, via l’espace vert et de loisirs de l’île Saint-Maurice, permettant ainsi le désenclavement des quartiers.
Il s’agit d’une infrastructure majeure dans le projet de renouvellement urbain intercommunal conventionné par l’agglomération avec l’ANRU, la Région et le Conseil Départemental. Elle part du constat d’un manque flagrant de franchissements doux de l’Oise en centre-ville. Un seul pont, également routier, est en effet ouvert aux piétons. La passerelle parachève donc un nouveau parcours ininterrompu de circulations douces entre le quartier Rouher sur la rive gauche, le quartier de Gournay, sur la rive droite, aujourd’hui en pleine mutation, et le quartier de la gare. Elle permet ainsi une nouvelle connexion entre plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville, l’espace vert majeur du centre-ville et le quartier de la gare et réduit jusqu’à quinze minutes le trajet piéton. A l’inverse, les habitants de la rive droite accèdent désormais à l’île Saint-Maurice et profitent pleinement de ses espaces de loisirs. La passerelle dessert également l’IUT depuis la gare de Creil.
La Passerelle contribue au développement des circulations douces dans l’agglomération et favorise en particulier l’accès à la Gare de Creil. Elle limite ainsi le recours à la voiture et contribue à la réduction des gaz à effet de serre. Elle s’inscrit dans le projet de Gournay les Usines, qui a reçu le prix « éco-quartier » ANRU – CDC en 2009.
Le montant total de l’investissement et de 5 265 000 €, valeur 2015. Le financement nécessaire à la réalisation du projet est réparti en trois origines, fonds propres 32%, endettement bancaire 24%, subventions reçues 44%.
Architecture
La structure dégage un rectangle de navigation 7,0 m au-dessus du niveau de l’eau. Le tablier de 100 mètre de long est donc présent dans le paysage des berges de la rivière, tout comme les deux longues rampes en pente douce qui permettent aux personnes à mobilité réduite d’emprunter confortablement l’ouvrage.
La simplicité du franchissement répond au contraste entre les deux berges qu’il met en relation. En rive droite, l’importante rénovation urbaine engagée par la ville métamorphose progressivement l’ancien quartier industriel de Gournay en une pièce urbaine vivante, avec logements, un futur musée, une école en cours de construction et la nouvelle place Fichet à l’entrée de la passerelle. Sur la rive opposée, la passerelle atterrit dans la végétation, en bordure de la grande prairie au coeur du parc récemment réaménagé, sur l’île St Maurice, à proximité de la côte boisée qui mène au plateau de Creil.
Le contraste entre la berge naturelle, ouverte et de grande échelle, et la berge urbaine, construite, plus dense et d’échelle plus fine est reflété par l’asymétrie de la passerelle, portée par un pylône unique de 28 mètres de haut implanté sur l’île. Celui-ci s’intègre naturellement dans l’alignement d’arbres de haute tige qui bordent le chemin de halage. Les câbles de suspension, ancrés en tête de pylône, dessinent le funiculaire des charges, s’infléchissent dans l’espace et effleurent le mince tablier en béton pour atterrir discrètement, presque à l’horizontale, sur la berge urbanisée.
La minceur extrême du tablier en béton, moins de trente centimètres, inhabituelle pour un pont de cette portée, en fait un simple ruban tendu à travers le paysage. Elle est rendue possible par le réseau dense de fines suspentes inclinées et croisées qui supportent le tablier. Ces suspentes participent d’un schéma structurel intrinsèquement efficace qui se comporte comme un treillis sous charge dissymétrique. Elles tissent un filigrane structurel au-dessus des piétons et se fondent dans les feuillages des berges de l’Oise.
La conception des haubans qui ancrent le pylône dans le sol de l’île et celle des rampes d’accès a été étroitement coordonnée avec le réaménagement de la place Fichet d’un côté, et de l’autre, avec l’architecture paysagère du parc de l’île Saint-Maurice. Alors que la rampe de la place Fichet emprunte la géométrie, la forme, les matériaux et les finitions au tablier de la passerelle qu’elle prolonge, la rampe de l’île Saint-Maurice, implantée perpendiculairement au franchissement, a été conçue comme une ossature en acier distincte du pont, transparente et discrète, à travers laquelle voir l’eau et la végétation.
Les études extensives effectuées en phase de projet ont permis de construire le pont en pleine conformité et en toute cohérence avec la vision conceptuelle initiale. Au cours de ce processus, les éléments en acier et le tablier en béton ont été optimisés et affinés pour souligner la sveltesse de l’architecture, tandis que les éléments de la géométrie du projet comme l’angle des haubans d’ancrage et l’épure des câbles principaux ont été étudiés
Structure
Architecture et structure sont ici indissociables. Les deux disciplines, chacune au service de la ville, se confortent mutuellement. Le tablier en béton armé est soutenu sur chacun de ses bords par une série de suspentes inclinées et croisées, reliées aux deux câbles de suspension principaux. Ces câbles porteurs galvanisés de 90mm de diamètre sont retenus et ancrés dans le sol sur la rive gauche, tandis que sur la rive droite une structure en acier en forme de A transfère au sol le cisaillement et le moment de flexion. Les suspentes en acier sont connectées par des platines ancrées dans le tablier ou soudées aux serre-câbles en acier du câble porteur.
Le réseau dense de suspentes inclinées qui portent le tablier forme une structure intrinsèquement efficace, qui se comporte comme un treillis sous charge asymétrique et permet de conserver un tablier mince, léger et économique. Les suspentes transfèrent les charges permanentes et symétriques du tablier aux câbles porteurs qui suivent leur courbe funiculaire dans l’espace et tangentent l’horizontale à l’ancrage sur la rive gauche. Les charges variables sur le tablier du pont activent le fonctionnement de la structure en cisaillement entre le tablier béton et le câbles porteurs acier. La structure travaille alors de façon globale comme un treillis où le tablier et les câbles porteurs jouent le rôle de membrures principales, tandis que les suspentes jouent celui des diagonales. Un chargement variable active ainsi la structure toute entière, ce qui rend la structure très rigide, à l’encontre d’une configuration qui dépendrait des seuls câbles porteurs et tablier mince, et deviendrait alors excessivement souple sous chargement asymétrique.
En raison du transfert de cisaillement entre les câbles porteurs asymétriques et le tablier, les charges asymétriques peuvent entraîner un relâchement des suspentes dites «primaires» qui sont inclinées vers l’île sur la rive gauche de l’Oise. Afin d’éviter une détension, la procédure de montage et la séquence d’installation ont été réfléchies pour que la majeure partie des charges permanentes transite par ces suspentes et soit plus importante que leur relaxation sous charges variables. La séquence de montage a été aussi conçue de telle sorte que tous les réglages de géométrie et de tension soient effectués alors que le système était encore isostatique.
Les effets thermiques sur le câble porteur modifient la courbure du câble sans induire de contraintes notables dans le tablier. Les conditions d’appui du tablier au-dessus de l’île permettent sa libre dilatation thermique.
En pied, le pylône est équipé de grains en acier inoxydable ancrés dans des socles en béton. Chaque pied de pylône est fondé sur huit micropieux inclinés de 20 m de longueur. Les haubans sont ancrés dans les socles en béton inclinés qui répartissent la tension à six tirants de sol de 23 m de long.
La structure en acier de 4m de haut en forme de A qui sert à l’ancrage des câbles sur la rive droite transmet à la fois le cisaillement et le moment de flexion au sol. Elle est soutenue par un massif béton de 1,40 m d’épaisseur fondé sur huit pieux forés de 1,40 m de diamètre et de 20 mètres de long. Les forces de tension agissant sur les fondations sont ancrées par six tirants obliques de 17,0 m de long. Les deux rampes sont structurellement indépendantes du pont, et ont pour fondations des micropieux battus de 8 m de long.
Construction
La conception architecturale du projet a été rendue possible par une stratégie constructive poussée, intrinsèquement liée à sa forme et à son fonctionnement.
La réalisation de la passerelle a présenté de nombreux défis constructifs, dus soit à la conception innovante de la structure soit à la construction sur l’eau et aux contraintes du trafic fluvial. Ils ont demandé une approche soigneusement réfléchie des phases du montage. Il s’agissait, par exemple, du lancement des câbles porteurs à l’aide d’une traille, du levage du tablier en petits éléments préfabriqués clavés au-dessus de l’eau ou encore du réglage des suspentes inclinées.
Les segments de pylônes ont été assemblés et soudés l’un à l’autre sur site. Une fois soudés, les pylônes ont été levés en place et stabilisés par deux entretoises temporaires. Après le levage du pylône, les câbles ont été fixés au pylône et à l’ancrage de la rive gauche.
L’interruption du trafic sur le chenal de navigation étant extrêmement brève, elle ne laissait qu’une fenêtre de travail de quelques heures pendant la nuit. Une traille munie d’un câble de petit diamètre et qui pouvait être installé rapidement au-dessus du gabarit de navigation a été conçue pour soulever les câbles porteurs à travers l’Oise. La traille, amenée par voie fluviale, a été mise en place pendant une fenêtre de temps de moins de deux heures, à partir de la structure en forme de A sur la rive droite jusqu’à une plate-forme de travail provisoire, installée au sommet du pylône. Les câbles de suspension ont ensuite été tirés sur la traille en une journée chacun, sans interruption du trafic fluvial.
Le tablier en béton est fait de petits éléments de 4m x 4m, préfabriqués en béton armé. Des oreilles articulées en acier noyées dans l’épaisseur de la dalle béton servent à relier les éléments entre eux pendant le montage. Lorsque tout le tablier a été mis en place, les joints entre les segments sont clavés in situ, noyant les articulations provisoires et rendant le tablier monolithique. La préfabrication a facilité le transport et l’assemblage du tablier. Les articulations entre segments ont permis un réglage aisé de la géométrie de l’ouvrage. Ces éléments ont été préfabriqués sur site, l’un contre l’autre sur une table de préfabrication longue de 70m, partiellement à la façon d’éléments conjugués. Cette disposition a permis un contrôle précis de la géométrie du tablier et de la qualité de surface du béton.
Les éléments ont été positionnés sous les câbles porteurs par barge. Chaque élément a ensuite été levé en place par une grue placée sur la berge et relié à des suspentes verticales temporaires afin d’éviter d’introduire de la compression dans le tablier pendant le montage. Après l’ajustement final de la géométrie par la longueur des suspentes l’élément suivant était mis en place de la même façon.
En raison de la grande évolution de la géométrie du tablier lors du montage, les premiers éléments ont été placés beaucoup plus haut que leur hauteur finale de façon à ce qu’ils soient dans leur position requise une fois que tous les éléments du tablier mis en place et le câble porteur entièrement chargé. La mise en place de tous les éléments a été réalisée en seulement cinq jours avec une tolérance inférieure à 5 mm par rapport à l’objectif théorique. Le trafic fluvial n’a pas été interrompu pendant le montage de la passerelle.
Afin de transférer la majeure partie des charges permanentes dans les suspentes primaires, celles-ci ont été installées dans un premier temps. Les suspentes temporaires ont alors été déchargées. Ensuite, les suspentes secondaires ont été installées avec une tension initiale nominale pour éviter que les barres fléchissent. Pendant le réglage de la géométrie finale et avant le bétonnage des clavages du tablier, des réservoirs remplis d’eau ont servi de lest pour simuler les conditions de chargement final. Enfin, les clavages entre éléments ont été bétonnés en même temps que les réservoirs d’eau étaient vidangés.
___